Geneaweb - l'histoire de la famille Triadou

Marie Thérèse Dubois

L'histoire de Marie débute sous le Consultat, la période allant de 1799 à 1804 ainsi nommée parce que 3 Consuls se partagent le pouvoir (Siéyès, Ducos, Bonaparte) ; ils stabilisent et consolident la Révolution, les dissensions religieuses sont apaisées et l’économie réorganisée. Le 13 décembre 1799, Bonaparte devient premier Consul.

Marie et le vouvoiement

Ainsi que déjà dit dans l'article sur Alexandre Bullot, jusqu'à la Révolution le vouvoiement était de mise chez les personnes de qualité et les nobles ; le tutoiement était réservé au peuple ; il faudra que tombe ce qu'on appelera plus tard l'Ancien régime pour qu'on institutionnalise le tutoiement et il y eut même une loi faisant du tutoiement une obligation ; se vouvoyer après 1789 était suspect et pouvait vous faire emprisonner ; mais cette loi fut vite abrogée en raison de la difficulté de ne pas employer le "vous" en parlant à plusieurs personnes, sans parler des étrangers anglophones pour lesquels déjà la distinction entre "tu" et "vous" n'allait pas de soi.

Dans les trois lettres qui nous restent et qui sont adressées à Alexandre (au passage remercions ceux qui l'ont conservée au fil des décennies) on notera que Marie vouvoie Alexandre ; on s'étonnera peut-être qu'une simple couturière ait des manières de bourgeoise, mais son père Michel Dubois n'eut-il pas eu recours lui-même au vouvoiement, lui qui fréquenta le milieu très classique du Séminaire ? et n'a-t-il pas subi l'influence de parents issus de la glèbe qui se sont hissés dans les rangs de la bourgeoisie ? et dans lesquels rangs il est d'usage de prendre des manières d'aristocrates ?

On peut admettre alors que Marie, élevée dans un milieu familial qui usa du vouvoiement, parce qu'elle était devenue petite ouvrière "convertie" au tutoiement, retrouva le velouté du vouvoiement avec Alexandre ? et n'est-ce pas ce trait qui lui fit préférer ce jeune homme de 11 ans son cadet à d'autres hommes éloignés eux de son éducation ? dans l'esprit de Marie cette relation bien sûr n'étant pas faite pour durer. Je vous laisse le soin de souscrire ou non à cette hypothèse.

11 octobre 1800 - Naissance de Marie Thérèse Jeanne Margueritte Dubois

Elle naquit au Pré Pelletier aujourd'hui Pré Saint Gervais (93) après que sa famille eût déménagé pour des raisons de sécurité personnelle ; en effet, son père Michel Dubois, lequel pour mémoire a été vicaire puis curé qui prêta serment à la Constitution civile du clergé, quitta la prêtrise pour devenir officier d'état-civil et se maria en 1794 à la fin de la Terreur (Michel pourrait vous dire qu'à cause de Robespierre, ça devenait très chaud pour les curés !).

Il ne fut pas le seul curé à se marier, bien d'autres le firent, juste pour rester en vie ; il déménagea parce qu'à Saint Prix où il demeurait avec sa famille on savait qu'il avait été curé et la situation aurait pu devenir dangereuse.
Nous le retrouvons donc au Pré Pelletier, il est instituteur et voici que naît sa seconde fille dont voici ci-dessous l'acte de naissance  :

 

« Du vingtième jour du mois de vendémiaire l’an neuf de la République française. Acte de naissance de Marie Thérèse Jeanne Marguerite, née hier le vingt à neuf heures du matin, fille de Michel Dubois et de Marie Hertolle Fié ses perre et merre instituteur dans la commune du Pré Pelletié. Le sexe de l’enfant a été reconnu être une fille. Premier témoin Jean Baptiste Dufour citoyen français domicilié à Paris rue Guillaume numéro cinquante deux faubourg Germin dixième arrondissement, second témoin Marie Thérèse Daverez Malliard bourgeoise de Paris rue Bufaud numéro cinq cent dix sur la réquisition a nous faite par le citoyen Michel Dubois père de l’enfant.
Et ont signé : Dubois, Dufour, Maillard.
Constaté suivant a loi par moi Jean François Gilbert Guingand, Maire de la commune de Pré Pelletié faisant les fonctions d’officier public de l’état civil.
Signé : Guingand maire.
Pour copie conforme en remplacement de la minute détruite pendant l’insurrection de 1871. »

L’officier d’état civil ayant reconstitué l’acte a commis des erreurs lesquelles sont :

Revenons un instant au Pré Pelletier : comme dit ci-dessus, il n’est autre que le Pré Saint Gervais (Seine Saint Denis) où vivent Michel Dubois et sa famille : ce village avec ses sites champêtres et ses haies de lilas attirait une foule de promeneurs parisiens qui venaient danser. On y trouvait des guinguettes fort fréquentées à la belle saison par les Parisiens.
Le nom d’origine du village est Pré Saint Gervais qu’on trouve mentionné pour la première foi en 1217 ; la Révolution française rebaptisera ce village Les Prés-le-Pelletier puis en 1793 il deviendra Le Pré Pelletier en hommage au révolutionnaire Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau assassiné pour avoir voté la mort du Roi et dont la propriété était voisine du village qui reprend son nom d’origine en 1801.

Entre 1800 et 1825

Que devient la famille Dubois après 1800 ? j'aimerais bien le savoir mais les informations manquent.
Nous les retrouvons en 1825 à Paris, très exactement au 47 rue du Faubourg St Denis grâce à l'obligence de Michel Dubois qui écrivit une lettre à ses filles ; en cette année, il apparaît dans cette lettre que Michel est en quelque sorte le commissionnaire ou l'homme de confiance du marquis Pierre d'Aubusson lequel résidait au château de Champrosay à Draveil dans l'Essonne.
Nous savons aujourd'hui par la grâce du hasard et de Filae qu'en 1820 Michel Dubois était professeur de langues sans autre précision, mais du fait de son passage au Grand séminaire, nous pouvons inférer qu'il enseignait le latin.
Comment vit donc Marie ? à cette question je ne peux répondre.

1825 à Paris

Marie Thérèse a 25 ans, sa soeur Marie Élisabeth en a 28, toutes deux vivent au domicile de leurs parents et on peut supposer qu'elles ne travaillent pas bien que Michel semble gagner assez bien sa vie puisque professeur et homme de confiance du marquis Pierre d'Aubusson.
Je ne résiste pas au plaisir de vous donner ci-dessous la transcription de la lettre de Michel Dubois :

Champrosay, lettre de Michel Dubois adressée à
Mademoiselle Élisabeth Dubois, rue du faubourg St Denis n° 47, Paris
(Michel a 64 ans ; Élisabeth a 28 ans ; Alexandre a 14 ans et Marie Thérèse a 26 ans)

« Champrosay, 12 août 1825
Papa est bien sensible aux attentions et aux témoignages d’attachement que lui donnent sans cesse ses bonnes petites.. que le Ciel vous en récompense, mes chères amours, et ne prenez plus d’inquiétude sur ma santé. Je suis arrivé dieu merci, bien portant à Champrosay j’ai dîné de bon appétit et un bon sommeil a réparé mes forces, et ne me restoit que l’inquiétude du baromètre que vous aviez caché je ne sçais où, et que j’ai oublié ne le voyant pas. Je l’ai reçu en bon état ce qui a calmé notre grand Marquis qui pensoit ne plus le revoir. Je l’ai trouvé en arrivant très agité de mon retard à cause de son argent qu’il craint toujours que l’on ne perde mais il a bien fallu qu’il se contente des bonnes raisons que je lui ai alléguées, et la joie a reparu sur son front quand il vu son argent bien compté… Adieu donc, mes bons petits anges. Je vous souhaite à toutes une bonne fête, embrassez bien tendrement votre maman pour moi à son retour je vous donne tous les baisers et les remerciemens que mérite votre tendre amitié. Tout à vous, toujours très affectionné tendre et cher Papa Dubois
. bien des amitiés à Mr et Mme Prat, à Mmes Bulot, Gomien, à Mme Auget… à tout ceux qui nous aiment… sans oublier Mme Galet et sa chère famille… je vous engage à les aller voir. Bien des choses honnêtes de ma part. »

Note : avez-vous noté restoit et sçais ? ces deux mots ainsi que le style de cette lettre illustrent l'instruction teintée de XVIIe siècle qu'il reçut au Grand séminaire, jusqu'à son écriture, fine et régulière, qui trahit une personne bien équilibrée ; cette lettre nous dit également que les soeurs Dubois ainsi que leurs parents forment une famille unie, elles font même des niches à leur père.

5 juin 1829 à Paris

Cette date marque un tournant dans la vie des Dubois car Michel décède ; c'est dans cet acte qu'on apprend que Michel était professeur d'université ; les 2 soeurs vont devoir travailler, Marie Élisabeth sera ouvrière en dentelles et Marie Thérèse couturière, activités qu'elles ont apprises à l'école dans leur jeunesse, comme beaucoup toutes les filles du XIXe siècle.
Où travaillaient-elles ? impossible de nous prononcer mais les historiens spécialistes de cette période affirment que la presque totalité des ouvrières de la mode travaillaient à domicile ou dans des micro-ateliers entendez chez les modistes.

1831, décès de Marie Élisabeth

Claudine Heller assure que d'après la tradition orale, Élisabeth est morte jeune, c'est bien le cas, voici ci-dessous ce que nous apprennent les tables de succession.

Réf. : 1er bureau, 3e et 4e arrondissements anciens, Lettre D, 1831-1837 DQ8 596
archives_FRAD075AF_DQ8_00596_00079
sous-titre
 : hôpitaux
n° 784
Dubois, Marie Élisabeth Arsène ;
Profession : ouvrière en dentelles ;
domicile : Fbg St Denis, n° 47 ;
âge : 34 ans ;
date décès ou de l'envoi en possession : 11 février 1834 ;
Célibataire ;
date déclaration succession : 2 août 1834 ;
héritiers : sa mère et sa sœur ;
valeurs : 54, —
observations : cer[tificat d'indigence] du 21 juin 1831 + cer[tificat d'indigence] 24 juin 1834

Note : Marie Élisabeth est décédée en 1831 dans un hôpital dont nous ignorons le nom, d'une maladie dont nous ne savons rien ; les héritières ont fourni un certificat d'indigence, mais l'héritage, 54 francs, n'a pu être réalisé que le 11 février 1834, après avoir fourni un autre certificat. Elle habitait chez sa mère, au 47 du Faubourg St Denis et était ouvrière en dentelles et ainsi que l'indiquent les certificats d'indigence, les soeurs et leur mère n'avaient pas de bien et louaient l'appartement où elles résidaient.

3 août 1835 - Naissance de son fils Arthur Antoine Bullot - Paris

Alors là, c'est l'accident de parcours, l'imprévu, la bourde, l'impair !
Résumons les faits : Marie a 34 ans, Alexandre en a 23, elle décide de s'amuser avec lui, il a une chambrette au 66 de la rue du faubourg Poissonnière, leur relation n'est bien sûr pas faite pour durer, mais arrive le pépin : elle est enceinte.
Ces quelques informations nous viennent de l'acte de naissance d'Arthur Bullot qu'il fit reconstituer dès 1872 (pour mémoire, les archives de Paris ont brûlé en 1871, 8 millions d'actes sont partis en fumée), voici ci-dessous cet acte de naissance reconstitué :

Préfecture du Département de la Seine
Acte de naissance
Rétabli en vertu de la Loi du 12 février 1872, par la 6e section de la Commission,
dans sa séance du 26 juin 1875

3e arrondissement de Paris — Année 1835

Bulot
Antoine Arthur
3 août 1835

L’an mil huit cent trente cinq, le trois
août, est né à Paris, troisième arrondissement,
Antoine Arthur, du sexe masculin
fils de Alexandre Bulot, compositeur
d’imprimerie et de Marie Thérèse Jeanne
Marguerite Dubois, couturière, qui l’ont
reconnu et demeurant rue du faubourg
Poissonnière n° 66.
Le membre de la commission »

Références historiques

Qu'allez-vous donc penser de Marie qui se fait séduire par un jeunot à moins que ce ne soit elle qui l'aie attrapé dans ses rets ?
Pour en savoir plus, il nous faut lire ce que le chroniqueur de l'époque Louis Sébastien Mercier écrit :

Louis Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris, n° 626, Grisettes, écrit :

« On appelle grisette la jeune fille qui, n’ayant ni naissance ni bien, est obligée de travailler pour vivre et n’a d’autre soutient que l’ouvrage de ses mains. Ce sont les monteuses de bonnets, les couturières, les ouvrières en ligne, etc., qui forment la partie la plus nombreuse de cette classe. Toutes ces filles du petit peuple, accoutumées dès l’enfance à un travail assidu dont elles doivent tirer leur subsistance, se séparent à dix-huit ans de leurs parents pauvres, prennent leur chambre particulière, et y vivent à leur fantaisie ; […] ainsi la grisette devient libre ; l’abri d’un métier elle suit ses caprices, et ne tarde pas à rencontrer dans le monde un ami qui s’attache à elle et l’entretient. »

Mais plongeons encore plus avant dans l'Histoire et lisons ce qui suit :

Catherine Authier, dans Femmes d’exception, femmes d’influence, pp. 79–86, écrit :

De l’ouvrière à la grisette
Si les femmes issues de la noblesse ou de la bourgeoisie ne travaillaient pas, les autres femmes d’un milieu plus humble étaient bien souvent employées en ville dans l’industrie du vêtement, chez une couturière ou une modiste à confectionner ou à reprendre le linge. Ces ouvrières pouvaient être blanchisseuses, brodeuses, couseuses, tisseuses, repasseuses, gantières, plumassières. […] Qu’elles soient mariées ou célibataires, dans ces milieux simles, elle n’avaient d’autre choix que de travailler pour survivre, même si leur salaire constituait seulement un appoint et restait très inférieur à celui des hommes, correspondant à la moitié de ce percevait un ouvrier, qui gagnait 3 ou 4 francs par jour. […] Par ailleurs, ce travail du linge était bien souvent un emploi de saisonnier donc précaire, les femmes étant très souvent employées à la journée. Dans tous les cas, il s’agissait d’un montant insuffisant pour assumer les besoins du ménage, le logement, la nourriture ou la charge d’une famille, surtout si la femme est sans mari. […] Ce travail dans l’industrie du chiffon était en plus extrêmement dur et répétitif. Les ouvrières travaillaient 14 ou 15 heures par jour, six jours sur sept. […] Avec un salaire insuffisant qui les privait de toute possibilité de plaisir et de loisir, les grisettes étaient souvent tentées d’améliorer leur quotidien, avec l’envie de s’évader, de rêver et de s’offrir un peu d’amusement. De plus, dans le cadre de l’atelier où elles travaillaient, elles avaient l’habitude de manier des rubans, de la soie et du satin, des tissus luxueux qui les tentaient. Et si certaines plongeaient parfois dans l’alcoolisme ou finissaient par faire le trottoir, d’autres prenaient facilement des amants passagers, des étudiants et surtout des hommes plus âgés qui pouvaient participer un peu aux factures.

Le bal public
Après ces semaines épuisantes, seul le dimanche donnait un peu de répot à ces jeunes ouvrières. Aller danser au bal était en effet un des loisirs préférés des grisettes. […] Ces bals étaient de vrais lieux de rencontre, on y trouvait une ambiance de flirt. […] Il s’agissait plus généralement d’un loisir extrêmement populaire auquel s’adonnaient toutes les classes de la société.

Et la réalité, dans tout ça ?

Les choses ne sont-elles pas plus claire ou pour mieux dire moins troubles ?
La vie des femmes à cette époque est loin d'être facile, le XIXe siècle est d'un machisme que les féministes d'aujourd'hui conspueraient, mais il fallait vivre, se détendre et Marie était indépendante, un rien volontaire.
Et célibataire à 35 ans.
Pourquoi ? par goût de l'indépendance, pour ne pas être sous la coupe d'un homme ; rappelons que Napoléon en créant le Code civil a défait ce que la Révolution avait fait gagner aux femmes : le divorce institué par les Révolutionnaires a disparu et la femme est devenue une mineure dépendante de la volonté de son mari.

Qu'en conclure ? Faute de preuves formelles sur la vie de Marie (et il n'en existe pas), j'en suis réduit à des conjectures basées sur la raison et le faisceau d'indices trouvés ici et là ainsi que par la lecture d'ouvrages traitant de l'histoire sociale de cette période ; ma conclusion tient en quelques mots que voici : Marie comme toutes les ouvrières harassées par un travail pénible s'amuse avec des hommes qu'elle rencontre au bal du dimanche ; ce bal, c'est un instant de liberté, une liberté que bien des femmes mariées doivent in petto lui envier, et comme Louis Sébastien Mercier, nous le comprenons ; le hic, c'est l'incident de parcours, il a nom Arthur.

Couturière, Marie cousait-elle à la main en 1830 ?

L'invention de la machine à coudre date de 1797, année où Barthélémy Thimonnier met au point cet instrument révolutionnaire ; les coutures ne sont pas très solides, aussi s'attache-t-il à la perfectionner : elle est au point en 1829 et le premier brevet est déposé en 1830 ; après quelques années d'améliorations, la machine à coudre domestique est opérationnelle ; en moins de 10 ans, une usine équipée de 80 machines est ouverte.
Il faudra attendre encore 20 ans pour que Isaac Merrit Singer crée une nouvelle machine aux U.S.A.
Marie Thérèse Jeanne Margueritte cousait à la main en 1830.

Travaillait-elle en usine ?

Nous pouvons lire ailleurs :

Dans les villes comme dans les campagnes, on croise de très nombreux travailleurs, et au moins autant de travailleuses, couturières, cordonniers, bronziers, qui travaillent à domicile ou dans de microscopiques ateliers. Les uns et les autres sont payés à la tâche (à la commande).
Ils ne cessent de changer d’emplois – ouvrier, petit commerçant, domestique, salarié – à la recherche d’une stabilité qui, la plupart du temps, les fuit, surtout lorsqu’ils avancent en âge. Même les ouvriers des premières usines ne cessent de bouger et de changer d’emploi, mobilité qui hante un patronat qui ne sait comment fixer cette main-d’œuvre.

Marie avant la naissance de son fils est couturière, puis elle cultivera des melons, elle sera ensuite fabricante d'articles de Paris.

Le mystère "Mademoiselle Dubois"

À compter du mariage de son fils ent 1864, dans les nombreuses lettres qui nous sont restées, sa belle-fille Marie Louise "Irma" Mangin n'aura de cesse, dans les lettres qu'elle envoie à Arthur quand elle est chez ses parents dans la Moselle, d'envoyer ses amitiés à Mademoiselle Dubois, une dame assez présente dans la vie du couple et en excellents termes avec Louis Lemperier, le fils issu du premier mariage de Marie Louise ; et jusqu'à Victor Pillon-Dufresnes, le meilleur ami d'Arthur, qui la connaît en tant que Mademoiselle Dubois.
Longtemps je me suis demandé qui était cette femme si proche d'Arthur mais j'ai fini par comprendre qu'il s'agissait de Marie Thérèse Dubois.

Alors se pose la question : pourquoi l'épouse de son fils ne l'appelle-t-elle jamais "belle maman" ou ne parle-t-elle jamais de "ta mère" en écrivant à son époux depuis la Moselle ? A-t-il tenu à la laisser dans l'ombre  ?

et celui de la tante d'Arthur

Dans plusieurs lettres qu'il écrit à Marie Louise retranchée à Lubey (Moselle) pendant les événements de 1868 à 1870, Arthur parle de "sa tante", dont il ne donne pas le nom (pourquoi le donnerait-il puisque la destinataire sait qui elle est ?).
Mais qui est donc cette tante ? La seule dont nous avons connaissance se trouve être Marie Élisabeth Dubois, décédée en 1831 ; le père d'Arthur a-t-il une soeur ? rien n'est moins sûr.
Alors ?

Une hypothèse parmi d'autres : quand le maire célébrera son mariage avec Marie Louise, en ce XIXe siècle un peu puritain Arthur aura honte d'être fils naturel et de n'avoir pas été reconnu ; comme sa mère n'est pas présente à son mariage, peut-être aura-t-il eu l'idée de faire passer sa mère pour sa tante et déclarer sa mère décédée ? ou bien se fait-elle passer pour sa soeur disparue, devenant ainsi la "tante" dont il est question ?
Peut-être est-ce Marie qui a décidé de jouer ce rôle.
À vous de vous faire une opinion.


16 mars 1836 - son fils est en nourrice à Chantilly

La chose est très courante à l'époque, même dans les familles aisées, à plus forte raison chez les petites gens où hommes et femmes travaillent. Deux lettres de la nourrice d'Arthur, datées de février et mars 1836, signées Jeanne Nicolas, nous donnent des renseignements sur Arthur et ses conditions de vie, nous apprenons que madame Dubois n'apprécie pas du tout et l'enfant et la conduite de sa fille maintenant "fille-mère", une tache indélébile dans le 19e naissant où les femmes n'ont plus la liberté qu'elles avaient au 18e siècle. Les Bullot, par contre, puisque l'état de "fils-père" n'existe pas, sont par contre très proches du petit Arthur, c'est d'ailleurs à la bonne-maman Bullot que la nourrice écrit, au 105 de la rue Montmartre à Paris.

Lettre de la nourrice à la bonne-maman Bullot

Ma bonne Madame Bullot je fait réponse à la que lettre que de mimie les bonnet son un peu petit il faut prendre les deux autre plus grand et un peu plus long il jou [coifé ? ] comme deux homme il son contant davoir des jolie petit bonnet et ma Louise est contante aussi tout le monde est d’une joie sans pareille arthur a deux dent il vas très bien au chariot il a bonne apéti il manche beaucoup mieux que quand sa maman mimie est venu il manche du pain à la main il est polissons comme charles jespère que cela continue que son père il trouveras un grand changement auprès de la dernière fois le dieu veux quil ne leur arive plus rien je vas lui acheté des soulier car ses chossons ne lui tiene pas au pied je prie alexandre de ne pas envoié d’argent puis quil est pour venir rien autre choses à vous marqué pour le moment nous vous embrassons tous les cinq [m]oi nicolas Louise charles et arthur tout la Sainte famille je ne peux pas croire que si sa bonne maman Dubois le verait quelle ne l’aimeres pas car il est bien jentil il rit toujours il me tant toujours les bras il ne veux pas alé avec Louise si nous nétions pas si éloigné je partiray pour paris afin que sa maman Bullot puis le voir mais est imposible si vous voié la mère Gilbert Dite lui donc bien des chosses et dite lui quel viene nous voire.wbr /> adieu porté vous bien
je vous embrasse
Jeanne Nicolas

Commentaire : la « bonne maman » Dubois, Marie Charlotte Fié, n'aime pas Arthur et refuse de le voir, il faut dire que Marie Thérèse refuse d'épouser le père de l'enfant, ce qui lui confère le statut peu enviable de "fille mère", chose qui déplaît à sa mère ; ma tante Claudine Heller tenait de sa grand-mère, Marie Bllot fille d'Arthur, qu'elle n'avait pas épousé ALexandre parce qu'elle était plus vieille que lui.

Où travaillait Marie Thérèse après 1835 ?

En parcourant les quelques lettres que Marie envoya à Alexandre pendant certains troubles parisiens, nous apprenons qu'elle cultivait des melons non loin de chez elle ; la chose est courante à Paris où les maraîchers sont légion : on cultive différents légumes qu'on vend bien car les gens aisés en sont friands ; Marie Thérèse dans une lettre détaille les prix du transport pour une destination dont nous ne savons rien, mais il est certain qu'Alexandre lui prête la main ; elle comme lui n'ont pas beaucoup d'argent, il leur faut économiser, elle parle de la mère d'Alexandre, qui habite non loin de chez elle, et dont elle s'occupe, avançant parfois son "mois" à la place de son fils.

Et entre 1835 et 1870 ?

Les quelques lettres adressées à Alexandre Bullot pendant les troubles parisiens nous apprenent que Marie ne vit pas avec Alexandre lequel fait profession d'homme de lettres (aujourd'hui on dit journaliste) et a semble-t-il une vie assez mouvementée (Marie craindra qu'il n'ait eu un duel et soit gravement blessé) ; l'argent manque, il faut travailler dur, Arthur est élève au demi-pensionnat des frères et travaille assez bien.
Après le mariage de son fils, c'est en tant que Mademoiselle Dubois et "tante", comme nous l'avons indiqué plus haut, qu'elle vivra seule dans un appartement appartenant à sa belle-fille Marie Louise dite Irma.

Marie écrit à Alexandre

Voici une des trois lettres qui nous restent, écrites par Marie à Alexandre ; elle date du 5 mai mais de quelle année ? Arthur est encore enfant, la bonne maman Bullot est vivante, je dirais entre 1835 et 1848 :

« Mon bon Alexandre
Aujourd’hui 21 mai j’ai reçu votre lettre votre mère était chez moi lorsqu’elle m’est parvenue j’en ai remercié la providence car je ne savais plus quel moyen employé pour la calmer votre précédente lettre était tellement inquiétante que je vous avais écrit le 5 mai et je vois bien que vous n’avez pas reçu ma lettre ou du moins que vous n’êtes pas allé la prendre puisque l’on vous écris bureau restant d’après tous les détails que vous donnez je vois avec peine que votre santé n’est pas remise mais mon cher ami si vous vous laissez abatre par le découragement adieu pour toujours, le retour à la santé vous qui me prêchez je pourrais bien à mon tour huser de représailles je me contenterai pour le moment de vous donner des conseils relativement à votre santé future je crois qu’il serais essensiel que vous portiez de la flanelle si vous voulez je vais vous envoyer deux gilets mais pour cela il faudrait me répondre aussi-tôt. désormais tous ce qui peux vous arriver de fâcheux écrivez aussi-tôt et ne nous laissez pas 35 jours sans donner de vos nouvelles si vous saviez toutes les conjectures que je jetais je vous croyais en prison la minute suivante je pensais que vous aviez eu un duel que peut être vous étiez dangereusement blessé enfin des pensées plus triste les unes que les autres se succédaient à mon imagination après cela la désolation de votre mère qui même ayant de vos nouvelles est encore dans un état d’exaspération difficile à calmer la lecture de votre lettre lui a donné son batement de cœur le paûvre Arthur pleurait à chaudes larmes de voir sa maman Bullot se désoler et d’apprendre que son père venais d’être bien malade nous arrivions de chez Mr Jacquard avec qui je suis en relations depuis six semaines pas pour moi ni personnes des vôtres c’est pour la petite Julie dont vous avez entendu parler je l’ai eu six semaines avec moi Arthur s’en arrengeait bien c’était une compagne de jeux pour le jeudi et le dimanche ce pauvre Arthur fait tous ses efforts pour que vous soyez content de lui lorsque vous allez venir il dit papa dit toujours que je suis un imbécile mais je travaille pour lui faire dire le contraire sa mémoire paraît meilleurs il cite à sa manière des traits de l’histoire il apprend la musique vocale et puis des romances pour chanter à son papa enfin c’est un bon petit garçon qui est remplis de bonnes et décentes qualités tous les jours il rapporte des bons points de sa pension.
Il est minuit vous voyez que je suis pas paresseuse écrivez moi aussi-tôt la présente reçue pour me dire où il faut vous adresser un petit paquet contenant tous ce qui sera en mon faible pouvoir de vous envoyer surtout ne vous ennuyez pas avec l’ennui l’ineptie arrive et alors on n’est plus bon à rien nous vous embrassons tous trois de tout notre cœur sur tout de vos nouvelles.
Votre toute dévouée et sincère amie
M Dubois
ce 5 mai »

15 avril 1870 - Décès de Marie Thérèse Jeanne Marguerite Dubois - Paris 3e

« Du quinze avril mil huit cent soixante dix à deux heures de relevée. Acte de décès de Marie Thérèse Jeanne Marguerite Dubois, fabricante d’articles de Paris ; décédée ce matin, à cinq heures, en son domicile, rue Vieille du Temple 117 ; âgée de soixante neuf ans ; née à Pré Saint Gervais (Seine) ; célibataire ; fille de Pierre Dubois et de Catherine Marie Mauger, décédés. Le décès a été constaté par nous maire, officier de l’état civil et le présent acte dressé sur la déclaration de Arthur Antoine Bullot, photographe, âgé de trente quatre ans, rue Saint Antoine 141 et de Louis Léonard Lecoq, fleuriste, âgé de trente trois ans, rue Vincent 20, amis, qui ont signés avec nous, après lecture faite. »

Commentaires : Elle a été inhumée au cimetière du Père Lachaise le 15 avril 1870, n° du cimetière 331892, concession « T ». Dans la journée du 15 avril 1870, est noté : Archives fiscales « tables des successions et absences »
Commentaires :

Marie Thérèse Jeanne Marguerite Dubois exerçait le métier de fabricante d’articles de Paris, son fils Arthur Bullot photographe de 34 ans en a fait la déclaration avec un autre témoin, Louis Léonard Lecoq, tous deux se sont déclarés amis de la défunte et assez curieusement Arthur la dit fille de Pierre Dubois et de Catherine Mauger (en vérité, elle est fille de Michel Dubois et de Marie Charlotte Fié). À noter qu’elle habitait au 117 rue Vieille du Temple à Paris 3e, curieusement similaire à un mot près à celle à laquelle habitait Marie Louise Mangin à son mariage avec Arthur en 1864 : 117 rue du Temple à Paris 3e (l’immeuble doit dater du début 19e siècle). Arthur a 9 ans quand sa grand-mère Marie Charlotte Fié décèdé au 10 bd St Martin 5e ancien 10e actuel, s’il se trompe sur le nom de sa grand-mère, il est possible qu’il l’ait ignoré (d’après la lettre de la nourrice d’Arthur en 1836, « la bonne maman Dubois » ne voulait pas voir l’enfant, peut-être ne l’a-t-elle pas beaucoup vu).


Domiciles parisiens de Marie Thérèse Jeanne Marguerite Dubois

Nota : Marie Louise Mangin habite au 11 rue du Temple en février 1864 ; en avril 1864 dans la reprise de matériel photo effectuée par Arthut Bullot, l'adresse du couple est 117 rue Vieille du Temple ; en mars 1868 Arthur et elle sont au 141, rue Saint Antoine.
En considérant les dates, on peut déduire que Marie Dubois loua ou habita à titre gracieux au 117 rue Vieille du Temple un appartement dont sa belle-fille était la propriétaire.